6ème extinction de masse ? En êtes-vous vraiment sûr ?

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Le 25/03/2021, le magazine LE POINT titrait :
« AFRIQUE : Alerte les éléphants menacés d’extinction ! Sous l’effet de la déforestation massive, les éléphants connaissent un déclin désastreux. Direction la Côte d’Ivoire pour un exemple concret. »

Que c’est énervant, cette façon de globaliser une situation. Pourquoi à partir de la Côte d’Ivoire généraliser la situation de l’éléphant dans toute l’Afrique ?
Tous les médias se sont précipité suite à une déclaration de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) qui a classé l’éléphant de forêt dans sa liste rouge en CR (En danger critique d’extinction). Tout le monde a retenu, ou voulu faire passer un message mensonger, que l’éléphant d’Afrique dans sa globalité était passé de la liste EN (En danger) à CR (En danger critique d’extinction).
Or c’est bien ce seul « éléphant de forêt » qui est nouvellement listé CR. Car c’est la première fois que les deux espèces d’éléphants sont évaluées séparément dans la Liste rouge de l’UICN, suite à l’émergence de nouvelles preuves génétiques.
Deux espèces sont ainsi définies et sont donc séparées de ce qui était auparavant considéré comme étant deux sous-espèces d’une même espèce. (anciennement Loxodonta africana africana et Loxodonta africana cyclotis) Aujourd’hui selon l’UICN il y a les deux espèces suivantes :
– Loxodonta africana en Savane
– Loxodonta cyclotis en forêt.
L’éléphant de foret (Loxodonta cyclotis) a été placé « En danger critique d’extinction » (CR) et l’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana) est resté « En danger » (EN) sur la liste rouge de l’UICN des espèces menacées. Il est important de ne pas croire que le fait d’être dans la liste rouge de l’UICN ferait dire que l’espèce est systématiquement en voie de disparition. C’est cette erreur généralisée que je souhaite démontrer dans cet article.

La liste rouge de l’UICN, c’est quoi ?
La liste rouge de l’UICN est un baromètre de la vie sauvage qui évalue la population des espèces. 120 000 espèces sont répertoriées, des champignons aux mammifères en passant par les plantes, les reptiles, les poissons et les oiseaux. L’objectif est de lister les 160 000 connues grâce à un réseau d’experts.
La classification de l’UICN dans son livre rouge consiste à mettre une espèce dans une liste selon son statut (c’est à dire l’effectif réel de la population) : Éteinte (EX), Éteinte à l’état sauvage (EW), En danger d’Extinction Critique (CR) En danger (EN), Vulnérable (VU), Quasi menacée (NT), Préoccupation mineure (LC), Données insuffisantes (DD).
Pour exemples :
– Le lapin de garenne est classé EN (en danger) comme l’éléphant de savane
– Le loup gris est classé LC (préoccupation mineure).

©FOR

Avant de détailler la situation sur le terrain, je trouve étonnant cette stratégie des taxonomistes (scientifiques qui participent à la classification des espèces) de vouloir distinguer deux espèces chez les éléphants. Car alors il faut faire la même chose avec les buffles et établir que le buffle de forêt est une espèce différente de celle de savane. Mon étonnement est encore plus grand quand je lis que la nouvelle espèce Loxodonta cyclotis (de forêt) intègre les éléphants des savanes du Sénégal, du Ghana, du Bénin et du Burkina-Faso…

Chaque population d’éléphants est soumise à la politique générale de conservation de la Nature de chaque pays. D’où cette irritation quand je lis cette affirmation sans nuance : « l’éléphant d’Afrique est en danger critique d’extinction !».
Il est plus cohérent d’analyser la situation dans quatre grandes régions d’Afrique comme suit :

  • 1. L’éléphant du Nord-Ouest, du Sénégal à la République Centrafricaine en passant par la Guinée Conakry et la Côte d’Ivoire :
    Il y a de très petites populations ici ou là. L’éléphant a pratiquement disparu de Côte d’Ivoire, et des pays situés plus à l’ouest en direction du Sénégal et de la Guinée Conakry. La Côte d’Ivoire porte mal son nom depuis longtemps car la situation des éléphants n’a fait que décliner depuis 1965. Il resterait quelques dizaines d’éléphants alors qu’ils étaient des dizaines de milliers au moment de l’indépendance. Encore récemment une belle population (1 700 éléphants) était comptabilisée aux frontières nord du Ghana, du Togo, du Bénin et surtout au sud et à l’est du Burkina-Faso dans le réseau des parcs nationaux du W, d’Arly et de la Pendjari. Qu’en est-il aujourd’hui avec les rebelles djihadistes qui déstabilisent la région ? La population augmente au Tchad notamment dans le parc national (PN) de Zakouma protégé par l’ONG sud-africaine African Park qui s’est investie aussi dans l’est de la Centrafrique (région du Chinko). Celle-ci protège la région contre les braconniers notamment des minorités Janjawids en provenance du Soudan qui trafiquent l’ivoire depuis des siècles. Au XXe siècle, les sagaies ont été remplacées par des kalachnikovs. African Park les empêchent aujourd’hui d’aller braconner plus à l’ouest (à pied, à cheval et à dos de dromadaires) jusqu’au PN de la Bouba Ndjida au nord du Cameroun ou vers le sud au nord du Congo-Kinshasa après avoir décimé ou presque les éléphants de la République Centrafricaine. Aujourd’hui ceux du Chinko renaissent de leurs cendres avec une soixantaine d’individus.
  • 2. L’éléphant de forêt, le fameux cyclotis, que l’on trouve autour de l’équateur en Afrique centrale :
    Le Gabon possède le plus d’individus (entre 30 000 et 60 000 selon les sources, soit probablement 60 % des éléphants de forêt). Le reste se situe au Congo Brazzavile (PN d’Ozala-Kokoua, avec 5 000 éléphants) ou dans l’Est du Congo-Kinshasa (PN de la Garamba, 1 200 éléphants). Ailleurs, il faut l’admettre, la population a fortement diminué car le milieu naturel fermé que constitue la forêt équatoriale est difficile à surveiller. Malgré les efforts des ONG de conservation de la Nature et des propriétaires des zones de chasse, l’éléphant reste très braconné au sud du Cameroun (complexe du Dja, PN de Nki et PN de Boumba Bek) et au sud-ouest de la République Centrafricaine (PN de Nouabale Ndoki). Il arrive pourtant de faire de belles découvertes : un troupeau de 580 éléphants a été repéré en décembre 2020 dans le PN des Virungas (à la frontière entre le Congo-Kinshasa et l’Ouganda) faisant passer la population totale du PN à 700.
  • 3. L’éléphant des savanes du Nord-Est (du Sud-Soudan à la Tanzanie en passant par le Rwanda, l’Ouganda et le Kenya) :
    En Tanzanie, la population a terriblement chuté en quarante ans. Mais depuis quatre ans, la situation semble apaisée. Dans la seule région sauvage du Selous (sud de la Tanzanie) la population est passée en vingt ans de 110 000 à 15 000 éléphants. Là où la garderie nationale ne pouvait pas ne pas faire partie du système de braconnage organisé au profit de la Chine par notamment Yan Fenlan la Reine de l’ivoire (elle a été condamnée à quinze ans de prison). La population globale de Tanzanie est estimée autour de 60 000.Le Mozambique a suivi le même schéma que la Tanzanie avec un braconnage organisé au plus haut sommet de l’État au profit des Chinois qui refaisaient le chemin de fer et les routes tout en exploitant la forêt. La technique de braconnage la plus simple et la moins bruyante fut d’empoisonner les points d’eau. L’ivoire était ensuite discrètement exporté en bateau vers l’Asie caché à l’intérieur des grumes. Comme en Tanzanie, l’État semble désormais vouloir diminuer ce braconnage industriel. Au Rwanda et en Ouganda, la faune sauvage est à nouveau bien surveillée. Les éléphants augmentent tout autant que les gorilles de montagne. Dans les années 70, dans le PN du Tsavo au Kenya, on avait pu assister, dans un cycle naturel, à la mort de milliers d’éléphants en raison de leur surpopulation. Le Kenya possédait alors la plus forte population d’éléphants au monde, Une situation photographiée par Peter Beard dans son livre The End of the game. En 1980, bien que comptabilisant encore plus de 100 000 éléphants, le Kenya décide d’interdire la chasse. Le Kenya a fait un autre choix, celui de l’agriculture et de la production de fleurs coupées. En 1988, il produisait 11 000 tonnes de fleurs ; en 2009, 118 000. La population des éléphants a suivi la même courbe mais inversée ! L’élevage, l’agriculture (fleurs, légumes, céréales) et les plantations de thé ont remplacé la faune sauvage. Il reste plus ou moins 20 000 éléphants dans les PN au sud du pays (Tsavo Est et Ouest, Amboseli et la réserve de Maasaï Mara notamment). Le Kenya a fait le choix politique de l’agriculture contre la faune sauvage mais cela ne le prive pas de continuer de donner des leçons en matière de conservation de la nature.
  • 4. L’éléphant des savanes australes (Botswana, Afrique du Sud, Namibie, Zambie et Zimbabwe) :
    On estime qu’il gravite de 300 000 à 400 000 éléphants. La plus forte densité au monde se trouve autour du PN de Chobe et du delta de l’Okavango au nord-ouest du Botswana. Cette population déborde vers l’Ouest dans la bande de Caprivie et dans le PN du Khaudum en Namibie. Tout autant vers l’Est au Zimbabwe et le PN de Hwange. Afin de limiter les conflits entre la population et les paysans tous ces pays organisent des chasses (dites “aux trophées”) selon des quotas précis et à destination de vieux éléphants mâles. Mais la chasse sportive ne concerne que quelques centaines d’éléphants dans toute l’Afrique ce qui ne suffit pas à limiter l’augmentation des populations des éléphants de l’Afrique australe. Aussi, en décembre 2020, la Namibie a mis aux enchères 170 éléphants. Cela a forcément fait hurler les écolos du monde occidental qui n’ont toujours pas compris qu’il fallait laisser l’Afrique gérer sa faune sauvage. « Let Africa live » est aujourd’hui le slogan de l’Afrique Australe.

    Sachez que tous ces pays offrent des éléphants à ceux qui le souhaitent. La seule condition est de venir les attraper et les transporter vers leur nouvelle destination… Faute de preneurs le PN du Kruger, situé au nord de l’Afrique du Sud, est obligé de pratiquer le culling. Le culling n’est pas de la chasse mais un abattage régulièrement organisé d’un certain nombre de troupeaux d’éléphants. On tue en hélicoptère, à pied ou en voiture toute une famille, ce qui évite l’éclatement de la structure familiale. Au dernier comptage de 2015, il y avait 17 086 éléphants au PN du Kruger. Afin de maintenir une population qui grandit de près de 5 % par an, combien faut-il tuer d’éléphant ? Plus de 850 éléphants par an ! Le Zimbabwe a les mêmes problèmes et pratique les mêmes méthodes notamment dans le PN de la Gonarezhou proche du Kruger.
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Je pourrais effectuer la même étude avec de nombreuses espèces emblématiques :

  • Le lion voit son aire de répartition diminuer dans toute l’Afrique centrale. Mais qui sait que la plus grande menace vient des éleveurs de bovins Peuls et Masaï qui les empoisonnent car ils mettent en péril leurs troupeaux ? Malgré la bien-pensance occidentale contre la chasse aux trophées, la chasse met à disposition de la faune sauvage d’énormes surfaces de biodiversité en complément des parcs nationaux en Afrique et la situation globale pour le lion varie d’une région à une autre comme pour l’éléphant.
  • Le grand Panda est passé de la catégorie EN à VU. Il y en aurait 2 000 aujourd’hui dans le centre de la Chine qui soit dit en passant est très efficace en matière de conservation de la nature. Malheureusement dans son propre pays mais pas en dehors.
  • L’ours polaire dont les populations ne cessent d’augmenter (plus de 25 000 sur les territoires connus du nord du Canada et de l’Alaska) malgré la diminution de la calotte glaciaire. Personne ne connaît le statut de l’ours polaire au Nord de la Russie car personne n’y vit sauf en Tchukotka (détroit de Béring).
  • La panthère des neiges qui, n’en déplaise à Sylvain Tesson et à son ami photographe animalier Vincent Munier, n’est absolument pas menacée car pratiquement personne ne vit sur la grande majorité de sa gigantesque aire de répartition (tout le Tibet, l’Himalaya, le Badakhshan, les Pamirs, les Tian Shan, la Dzoungarie et l’Altaï). Solitaire et discrète, elle est surtout difficile à observer. Même la panthère de Mandchourie (dite “de l’Amour” à cause du fleuve éponyme) qui serait le félin le plus rare au monde a vu sa population passer de 35 à une centaine en vingt ans.
  • Les rhinocéros africains (noir et blanc) qui ont été sauvés de l’extinction dans cette même partie de l’Afrique Australe tout particulièrement grâce au savoir-faire de l’Afrique du Sud et de la Namibie en matière de gestion de la faune sauvage.
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Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes mais il faut cesser, en matière de conservation de la nature (et de biodiversité) de systématiser une situation ponctuelle et de faire de la collapsologie.
Le 6 mai 2019, l’ONU à travers les experts de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) mettait en garde contre la menace de d’extinction d’un million d’espèces. Un million ? Vraiment ? Étonnant car de son côté les experts de l’UICN comptent 27 000 espèces végétales ou animales menacées d’extinction. Alors un million d’espèces animales et végétales menacées d’extinction ou, ce qui est déjà beaucoup, 27 000 ?
L’UICN décompte ainsi les 27 000 espèces menacées d’extinction par catégorie :
– 25 % des mammifères
– 14 % des oiseaux
– 31 % des requins et des raies
– 40 % des amphibiens
– 27 % des crustacés
– 33 % des coraux
– 34 % des conifères
S’il y avait une “6e extinction de masse”, ce serait peut-être pour certains insectes dont les moustiques. Car le paradoxe est que d’un côté l’OMS (lui aussi dépendant de l’ONU) qui apprend à lutter donc à détruire les insectes (par assèchement de zones humides, insecticides, génétique) potentiellement porteurs du paludisme, de la dengue et de la trypanosomiase et de l’autre nous sommes tous conscients (y compris probablement les experts de l’IPBES) qu’il y a moins d’insectes en Europe, ce qui pousse à la disparition des chauves-souris et des oiseaux insectivores dont les hirondelles.
Je suis malgré tout optimiste car la population mondiale se précipite en ville. Plus particulièrement vers les villes côtières qui deviennent toutes de plus en plus vastes. Certaines régions du monde sont plus sauvages aujourd’hui qu’il y a quarante ans. Selon la Banque mondiale plus de la moitié (54 %) de la population mondiale vit en zone urbaine aujourd’hui, ce sera près des trois quarts (68 %) en 2050 ! Le meilleur exemple est la Sibérie centrale et extrême-orientale jusqu’au Kamtchatka qui s’est littéralement dépeuplée. La plupart des pays occidentaux subissent aussi un exode rural qui libère d’énormes surfaces. Ce n’est pas pour rien que la politique européenne s’intéresse à la financiarisation de la nature.

Sources :
www.iucnredlist.org | www.donnees.banquemondiale.org | www.africanparks.org | www.news.un.org

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